Le Parc de la Paix - Emouvant et apaisant

Lorsque j'ai annoncé que mon périple commencerait par une visite de deux jours de Hiroshima, les réactions ont été naturellement celles-ci : "mais attends, il reste encore quelque chose ?", "Dis donc t'es sûr que ce n'est plus dangereux avec les radiations ?"

Bien entendu ces réactions sont compréhensibles car quelles images connaissons nous de cette ville hormis cet épouvantable champignon de fumée ? 

Pour ma part étant très attaché à l'Histoire depuis toujours, visiter Hiroshima était une évidence pour la question du devoir de mémoire : de la même manière que j'encourage chaque va-t-en guerre à aller visiter les plages de Normandie et notamment le cimetière de Colleville, je me suis dis que je ne pouvais pas visiter le Japon sans faire une escale à Hiroshima ou Nagasaki. 

Etant donné que cette dernière nécessite de passer par un ferry pour être visitée, je me suis dis qu'il serait plus simple de me contenter de prendre le shinkansen et de partir pour Hiroshima, d'autant plus que la ligne est directe depuis Tokyo.

Je m'attendais à un endroit assez triste et à ne pas rigoler des masses, avec un passé pareil il était certain que je n'allais pas mettre mes zygomatiques à rude épreuve. 

Et pourtant, non seulement j'ai pu me régaler en visitant le château mais en plus la visite du Parc de la Paix fut loin d'être la tranche de morosité à laquelle je m'attendais. 

A une dizaine de minutes de marche de Hiroshima-jo se trouve la rivière Motoyasu qui va m'emmener jusqu'au parc de la Paix (quand je vous disais au début de ce blog qu'il était facile de se repérer dans cette ville grâce aux nombreux ponts et aux sept rivières). 

J'aperçois très rapidement Genbaku le bâtiment que tout le monde connaît sous le nom de Dôme et qui apparaît dans tous les livres d'histoire puisqu'il s'agit du seul bâtiment à avoir résisté au souffle de l'explosion lorsque la première bombe atomique a frappé la ville le 6 août 1945 à 8h15.

Je reste immobile les bras croisés et je lis la plaque commémorative retraçant l'histoire de l'édifice, prévu à la base par la préfecture comme un lieu d'exposition industrielle. 

Aujourd'hui l'endroit est entouré de buildings et la nature a repris ses droits, aussi est-ce difficile de s'imaginer la catastrophe même en se trouvant face à ce témoin concret de l'explosion. 

De plus les habitants chantent, plaisantent et j'en entends même un qui trouve que je me tiens comme les samouraïs dans les vieux films... 80 ans plus tard la ville est comme toutes les autres : les gens suivent leur routine, plaisantent et à moins d'explorer véritablement le parc on ne pourrait pas croire que toute la ville a été rasée en quelques secondes il y a moins d'un siècle. 

Je franchis alors la rivière pour arriver pour de bon dans le parc dont la verdure m'a tout de suite impressionné : au risque de me répéter vous êtes sûr que la zone a un jour été complètement morte ?

Soyons clairs : si vous pensez faire un petit détour par le parc lors de votre voyage et que vous espérez en faire rapidement le tour, je vous invite à revoir vos plans car pour ma part il m'a fallu pas moins de cinq heures pour visiter chaque mémorial et chaque musée, et encore je suis sûr de ne pas avoir tout découvert ! 

Parmi les monuments et lieux remarquables que vous pouvez visiter gratuitement il y aura bien entendu la célèbre statue de Sadako la fillette aux mille grues mais aussi une fontaine souterraine en forme d'horloge entourée d'une fresque à 360° représentant la ville après la détonation. 

Indiquant l'heure où la ville fut balayée de la carte, la fontaine apporte symboliquement de l'eau aux victimes dont les cendres sont rassemblées juste au dessus en un dôme dont la faible envergure nous empêche de réaliser combien de personnes ont été tuées ce jour là. 

Plus tard dans une autre aile du mémorial je comprendrai pourquoi une fontaine. 

Non loin de Hiroshima l'armée japonaise formait une nouvelle unité kamikaze dont le but consistait à apprendre aux volontaires à piloter des vedettes chargées d'explosifs et de les lancer à toute vitesse sur les navires américains.

Mais en ce 6 août 1945 les soldats ont vu débarquer un officier qui leur a dis "les gars stoppez tout on va à Hiroshima aider les civils, il n'y a plus de ville".

Médusés des hommes pourtant formés à foncer littéralement à la mort vont se retrouver face à des milliers de personnes brûlées et irradiées qui réclament de l'eau. Mais conformément aux consignes des médecins les soldats ne peuvent donner à boire aux victimes dont le mal est tel qu'on ne savait pas à l'époque si l'eau allait soulager ou au contraire aggraver la douleur. 

C'est pour ça qu'aujourd'hui sous les cendres des 80 000 civils la fontaine apporte de l'eau en continu, afin d'honorer ce qui fut la dernière volonté de nombreuses personnes. 

D'autres musées sont également accessibles pour quelques centaines de yen (un tarif moins cher qu'en Normandie donc) et vous trouverez à l'intérieur des vestiges et témoignages bien plus explicites que ceux disponibles dans les parties gratuites du parc. 

D'une certaine manière si vous ne souhaitez pas dépenser votre argent vous couperez aux parties les plus dures de la visite, mais d'un autre côté pour ne pas oublier l'Histoire il faut parfois la regarder en face. 

C'est d'ailleurs l'un des aspects qui m'ont frappé dans cet endroit en dehors de l'envie de paix qui règne partout : les japonais ne passent pas certains aspects dérangeants sous silence. 

Je parlais des soldats formés aux missions suicides (on dira ce qu'on voudra mais ce genre d'attaque n'a jamais été bien vu en Occident) mais il y a bien évidemment les témoignages physiques de la tragédie. 

Cependant si il y aura bien quelques clichés choquants, le musée frappe surtout par la subtilité de ses expositions qui vont au finalement rarement montrer des éléments ouvertement violents. 

Photos d'enfants avant l'explosion exposées aux côtés d'un tricycle complètement dévasté par les radiations et les flammes, vêtements déchiquetés accompagnés de paroles de proches ("si c'est bien Yoshiro, avec qui me trouvais-je hier ?") sans oublier la pièce la plus frappante à mes yeux : un paravent en bois.

C'est qu'on parle surtout de la déflagration et du champignon mais pas aussi souvent de la pluie noire toxique qui s'est ensuite abattue sur la ville comme si celle-ci n'en avait pas eu assez. 

Le paravent en question est aujourd'hui enfermé dans une vitrine extrêmement épaisse car bien que daté de 80 ans les traces de pluie noire visibles sur l'objet sont toujours radioactives. 

Quand je pense qu'après ça il y aura toujours des cons pour soutenir qu'on n'arrête pas le progrès. 

Sorti du musée où de nombreuses peintures (pour certaines effectuées par les soldats) m'ont collé froid dans le dos en me faisant réaliser que ce parc si paisible aujourd'hui était autrefois un charnier à ciel ouvert, je m'octroie une pause dans l'une des boutiques où l'étage fait office de café.

Aaah... Les japonais et les cafés, une vaste histoire d'amour, rien d'étonnant à ce que ces lieux synonymes de moments paisibles aient su gagner un endroit tel que celui-ci. 

Le café et le cake au matcha étaient savoureux même si la clim réglée sans trop se soucier de l'écologie contraste de facilement 10 degrés avec l'extérieur, ce qui signera (mais je l'ignore pour l'instant) le début de 10 jours avec une semi-crève. 

Mais une fois cette courte pause derrière moi je décide à passer le parc au peigne fin et de profiter au maximum de cette abondance de vert et surtout de découvrir un maximum de choses. 

Un petit autel où en appuyant sur un bouton un chant de paix par des enfants se déclenche (là j'avoue j'ai une larme qui est sortie, entre le musée et cette chanson qui m'évoque la fin de Lettres d'Iwo Jima, c'était trop), de nombreuses fresques en origamis formant des messages de paix...

Et le plus touchant dans tout ceci, c'est qu'on sent que l'endroit n'est pas là que pour la façade : les locaux et les différents maires sont attachés au passé tragique de la ville et malgré la modernité et la nature surabondante (j'ai aperçu de nombreuses carpes et même quelques raies dans la rivière là où dans le cours d'eau longeant mon village j'aurai vu au maximum deux canards et l'huile de cuisson de voisins indélicats) le message de Paix déborde de sincérité.

Et après presque trois années (au moment où je m'y trouvais) de dirigeants se menaçants chacun à leur tour d'appuyer sur le bouton au nom de la Paix, visiter cet endroit m'a tout de même fourni un peu d'espoir sur l'humanité. 

Parce que si un endroit comme Hiroshima a pu se relever d'une telle catastrophe en ne crachant à aucun moment ni aucune exposition sur le pays responsable, c'est qu'il existe malgré tout des hommes, des femmes et même des politiciens réellement animés par la Paix. 

Je le croyais déprimant, mais cet endroit était finalement rassurant.