Fraîchement installé au quartier de Kanamachi je me réveille avec une drôle d'impression : où est passée la lumière ? Pourtant lorsque je suis arrivé la veille il ne me semblait pas avoir atterri dans un quartier envahi de gratte-ciel qui auraient pu masquer le lever du soleil.
Deux options : soit on les a construit cette nuit soit il pleut ! Et même si mes bouchons d'oreille sont efficaces je doute qu'ils auraient pu étouffer un chantier nocturne donc je me lève réjoui en pensant que pour la première fois depuis mon arrivée au Japon je ne vais pas mourir de chaud et qu'en prime je ne serai pas le seul gars de la rame de métro à être trempé.
Sur cette agréable pensée je repense à une étape que le passionné d'histoire que je suis ne pouvait ignorer et je me dis que les conditions sont idéales pour me rendre dans un endroit où se terre l'une des histoires si ce n'est l'histoire la plus célèbre du Japon.
Je fais donc un arrêt à la boulangerie Vie de France située à côté des deux gares (et oui faites bien gaffe à Kamanachi il y a une gare de métro et une gare JR donc lisez bien les petits caractères avant de signer le contrat) et me régale de deux pâtisseries dont un melon pan au potimarron incroyablement délicieux et évidemment je n'ai pas besoin de préciser que le tout n'est pas sucré abusivement.
Repus, j'attrape le premier métro et me met en route pour l'arrêt Senkaguji dont le nom est celui du temple où se trouvent les tombes des 47 ronins.
Parce que si en occident le grand public connaît l'histoire principalement à cause du nanar avec Keanu Reeves (même si les amoureux du Japon et cinéphiles auront lu ou entendu une meilleure version de l'histoire) si vous pensiez tout savoir de leur légende car vous avez vu le carnage 47 Ronin de 2010, vous n'avez absolument rien vu.
Déjà pour commencer, ce n'est pas une légende.
Je débarque parapluie au clair dans la main gauche et caméra dans l'autre à une centaine de mètres du temple bouddhiste où se trouvent les 47 stèles.
On m'avait bien assuré que le cimetière était placé de telle sorte qu'on ne faisait pas attention aux immeubles et à la modernité des alentours, mais ainsi que je l'espérais en prenant la route la pluie et la brume achèvent de masquer les constructions contemporaines.
Et là je devine que certaines doivent se dire "quelle idée de sortir sous la pluie ce n'est pas de chance les images vont être horribles".
Vous savez quoi ?
Je crois que je n'aurai pas pu rêver meilleur climat pour honorer les ronins car la pluie est relativement légère et la brume n'est pas non plus envahissante.
Après avoir dépassé les deux boutiques de souvenirs que je me jure de dévaliser en repartant j'arrive face à la porte San-mon de Sengaku-ji tandis que les chants des moines en pleine méditation se font entendre depuis le temple situé plus loin dans la cour.
S'il n'y avait pas les deux bagnoles garées dans ladite cour je n'aurai eu aucun soucis à imaginer des samouraïs débarquer de la brume pour se demander ce que c'est que ce gaijin et surtout cet attirail démoniaque qu'il tient dans les mains ?
J'écoute un peu les moines malheureusement sans avoir le droit d'entrer assister à la méditation et dépose une pièce de 50 yen dans les mains de la statue du maître zen Kodo Sawaki avant de gravir les marches qui me conduisent vers le petit guichet qui marque l'entrée du cimetière à proprement parler.
Là une gamine qui doit avoir 16 balais m'explique que pour honorer les 47 je dois acheter un lot de bâtonnets d'encens et en déposer un sur chaque stèle.
300 yen pour honorer des gaillards comme on n'en voit plus, clairement c'est donné !
Malgré la pluie les bâtonnets se consument parfaitement sur chacune des 48 stèles.
Parce que même si le lieux a un côté touristique qui attire les étrangers l'endroit est également un lieu de recueillement pour les habitants du quartier et plus généralement des japonais : le nombre de bâtons déjà placés sur les tombes témoigne de l'intérêt que continue de susciter l'endroit aujourd'hui encore.
Tandis que la fumée s'élève et que je m'applique à saluer et à faire en sorte que chaque ronin ait son bâton je lis le nom et l'âge de chaque samouraï.
Sans être aussi choquant que les âges des jeunes tombés en Normandie je suis surpris de voir que beaucoup avaient la trentaine, que le plus vieux allait sur ses 78 balais et que le plus jeune n'avait que 16 ans.
Au passage non je n'ai pas fumé un bâtonnet qui me restait avant d'écrire ce paragraphe car j'ai bien dit qu'il y avait 48 tombes et pas 47.
Petit point historique donc : en 1701 après avoir subi trop longtemps les insultes et les provocations du seigneur Kira Yoshinaka, le daimyo Asano Naganori blesse ce dernier légèrement mais l'injure est suffisante pour pousser le shogun à ordonner à Asano de se suicider par seppuku (hara-kiri pour les intimes).
Se retrouvant sans seigneur à servir ses samouraïs deviennent alors des ronins, des samouraïs sans maître.
47 de ces ronins ont conscience de se trouver en présence d'un cas avant-coureur du bon élève sanctionné pour avoir levé la main sur le petit con qui se moquait sans arrêt quand le prof avait le dos tourné et décident ainsi de laver leur honneur et celui de leur maître en donnant un assaut sur la forteresse de Kira pour lui expliquer que la justice selon la Vème République ce sera que dans trois siècles.
Parvenus à leurs fins après deux années de préparation les ronins apportent la tête de Kira jusqu'à Sengaku-ji et la lavent dans le puits qui s'y trouve (et qui est toujours là aujourd'hui) avant de la déposer devant la tombe d'Asano qui est effectivement enterré au temple.
Considérés alors comme des meurtriers les ronins sont condamnés à mort.
Mais conscient que leur action était une application stricte du bushido visant à laver l'honneur de leur maître et qu'ils étaient conscients de leurs actes le shogun les autorisa à mourir en samouraïs en s'ouvrant le ventre à leur tour puis à être enterrés aux côtés d'Asano.
Aussi le ronin le plus âgé était en fait un ashigaru soit un simple fantassin et il est probable qu'il n'ait pas participé à l'attaque et qu'il ait été envoyé en tant que messager au pays d'Ako (fief du seigneur Asano) pour informer la population de l'action des ronins.
Du fait de son statut plus modeste et de son implication moins importante il fut gracié par le shogun et mourut bien plus tard avant d'être lui aussi mis en terre avec les autres, d'où le fait assez surprenant que l'une des tombes indique 78 ans !
L'histoire des 47 ronins a certainement été un peu romancée (le rôle du dernier ronin est notamment sujet à débat, certains pensent qu'il avait carrément déserté) mais sur le fond les faits restent ceux que je me suis efforcé de synthétiser.
Une histoire de loyauté et d'honneur, et donc une histoire typiquement japonaise qui pour beaucoup illustre l'âme profonde du pays.
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